La question de la responsabilité civile des parents séparés pour les actes de leur enfant mineur a récemment fait l’objet d’une décision importante de la Cour de cassation. Je m’appuie sur la jurisprudence récente de la Cour de cassation, rendue en assemblée plénière le 28 juin 2024 (pourvoi n°22-84.760). Cette affaire mérite une attention particulière, non seulement en raison des implications pratiques pour les parents séparés, mais aussi parce qu’elle illustre les défis juridiques posés par la cohabitation partagée et l’exercice conjoint de l’autorité parentale.
L’affaire concerne un jeune garçon, mineur, dont les parents sont divorcés. Conformément à la décision judiciaire rendue lors du divorce, la résidence habituelle de l’enfant avait été fixée chez la mère. Un jour, ce mineur a mis le feu à plusieurs espaces boisés, causant des destructions importantes et irréversibles. Poursuivi en justice, le tribunal a condamné le mineur pour destruction de biens par incendie, un acte qui a causé des dommages aux personnes et à l’environnement. En conséquence, les deux parents ont été déclarés civilement responsables des dommages causés par ces incendies.
Le père, estimant que sa responsabilité ne pouvait être engagée, a fait appel de cette décision. Selon lui, le fait que la résidence habituelle de l’enfant ait été fixée chez la mère aurait dû exonérer sa responsabilité. En d’autres termes, il soutenait que seul le parent chez qui l’enfant réside habituellement devrait être tenu responsable des actes de l’enfant. La Cour d’appel a tranché en sa faveur, considérant que la mère, chez qui l’enfant vivait principalement, devait être seule responsable civilement.
Insatisfaites de cette décision, la mère et les parties civiles ont formé un pourvoi en cassation. La question posée à la Haute juridiction était donc de savoir si, en cas d’exercice conjoint de l’autorité parentale par des parents séparés, la responsabilité civile pour les actes de l’enfant mineur devait être partagée entre les deux parents, même lorsque l’enfant ne réside principalement que chez l’un d’entre eux.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel, faisant évoluer sa jurisprudence en la matière. Elle a jugé que, lorsque les parents exercent conjointement l’autorité parentale, ils demeurent tous deux responsables des dommages causés par leur enfant mineur, et ce, même si l’enfant réside principalement chez l’un des deux parents. La Cour a ainsi estimé que la condition de cohabitation, nécessaire pour engager la responsabilité parentale, est remplie dès lors que l’autorité parentale est exercée conjointement, indépendamment de la résidence habituelle de l’enfant.
Cette décision repose sur une interprétation stricte des dispositions du Code civil relatives à la responsabilité civile des parents (Article 1242 Alinéa 4). Selon la Cour, le fait qu’un enfant cohabite avec ses parents découle directement de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Tant que cette autorité est exercée conjointement, la cohabitation est considérée comme effective, même si l’enfant ne réside pas de manière égale chez chacun des parents.
Toutefois, la Cour a précisé que cette cohabitation cesse d’être présumée lorsque l’enfant est confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire. Dans ce cas particulier, la responsabilité civile des parents ne pourrait plus être engagée, même s’ils continuent à exercer leur autorité parentale.
Cette décision marque un tournant important, en ce qu’elle renforce la responsabilité partagée des parents séparés. Elle rappelle que l’exercice de l’autorité parentale conjointe implique une coresponsabilité, peu importe les modalités de résidence de l’enfant. Cela dit, la mise en œuvre pratique de cette jurisprudence pourrait soulever certaines difficultés. Par exemple, comment un parent, qui n’a qu’un contact limité avec son enfant, pourrait-il être tenu responsable d’actes dont il n’avait pas connaissance ou sur lesquels il n’avait aucune emprise ?
Il est également pertinent de se demander si cette responsabilité partagée pourrait exacerber les tensions entre des parents séparés, surtout dans les cas où les relations sont déjà conflictuelles. La décision de la Cour de cassation, bien que fondée en droit, pourrait ainsi être perçue comme trop rigide ou théorique, sans prendre suffisamment en compte les réalités pratiques et émotionnelles des situations familiales complexes.
In fine, cette décision de la Cour de cassation mérite une attention particulière pour ses implications sur la responsabilité civile des parents séparés. Elle établit un principe de coresponsabilité en matière de dommages causés par un enfant mineur, tout en posant des questions sur la mise en œuvre de cette responsabilité dans la vie quotidienne des parents concernés.
Junior DEGUENON
Laisser un commentaire